Retour sur ce travail très particulier. Le 26 novembre 2019, L’Express publiait un article intitulé « Un charnier au cœur de Paris »(Paris-Descartes. Scandale du don de corps). L’auteur, Anne Jouan, révèlait que jusqu’en 2018, le centre du don des corps de la faculté de Paris-Descartes ava accueilli des milliers de dépouilles dans des conditions indignes. Le directeur artistique de l’époque, Serge Latil, m’explique que la rédaction a décidé de ne pas montrer les photographies par respect pour les familles et les dépouilles, et tout simplement parce qu’elles sont insoutenables. Et que c’est à moi de leur trouver une solution.
Le sujet est impossible. Dessiner quoi? La réalité ? Des corps entassés, décomposés, et je vous épargne les détails ? Hors de question de faire du trash ni du gore évidemment. Dessiner quoi, et surtout, dessiner de quelle manière? Quand le travail est fait et qu’il est là, devant les yeux, il semble évident. Mais quand rien encore n’existe, c’est un véritable casse-tête.
J’ai toujours aimé travailler avec Serge Latil, sans conteste un des meilleurs DA avec qui j’ai eu le plaisir de travailler. Au départ, on s’entend plus ou moins sur un principe de croquis, de dessins inachevés, de notes dans les marges… Mais très vite, je lui signale que ce genre de technique a un certain charme, celui du carnet de voyage, et que cet aspect un peu romanesque de la boite d’aquarelle in situ serait totalement malvenu. Il est impensable d’avoir la moindre qualité aimable, un truc même vaguement séduisant dans ce travail. Et à mon avis, la seule présence d’un style, d’un artiste, d’une manière de dessiner, me pose paradoxalement un problème. L’auteur, Anne Jouan écrit avec une très grande sobriété, je n’ai aucune raison de dessiner autrement. Avec Serge Latil, nous en avons discuté, nous avons échangé nos idées, j’ai évouqé unee piste un peu floue mais qui me semblait juste, et puis à un moment, il a lâché les rênes. Il m’a fait confiance.Et ça, c’est de la vraie direction artistique, encore merci.
Je me suis efforcé de dessiner de manière laborieuse, sans élan particulier, sans rien de séduisant. Mes lumières sont bouchées, blanches et opaques. Mon trait est plat, mal assuré, hésitant et appliqué, le feutre inexpressif, les perspectives sans âme. Ensuite, j’ai placé mon carnet à plat, sur un fond blanc, lampe de bureau à la verticale. Les ombres sont dures, la photo brutale.
Le résultat? Un truc neutre, fade, plat. Pas dramatique. Pas noir, pas inquiétant, rien de tout cela. Juste un carnet. Aujourd’hui encore, je crois que c’est un des boulots les plus justes que j’ai pu réaliser.
En Juin 2020, Libération balancera des illustrations que je trouve totalement hors de propos. Paris-Match publiera des photos en titrant « Le business de l’innommable ». Tu l’as dit.
Paris-Descartes. Scandale du don de corps.